Quand la nouvelle est tombée, j’étais chez moi, abattue et je me suis résignée à entrer dans une période de disette. Les clubs étaient déjà fermés depuis deux semaines ! Mais il était désormais interdit de boire debout dans les bars. Mes deux moyens de rencontres préférés m’étaient désormais interdits. Horreur, malheur. Le troisième, ce sont les potes de mes copines, mais là encore, j’en avais fait le tour pour quelques temps. Horreur, malheur, bis.
Alors, j’ai fait comme tout le monde : je me suis inscrite sur Tinder, histoire de voir s’il était possible de faire des rencontres sur cette application de Satan.
J’ai créé un profil, j’ai mis de jolies photos, j’ai mis toutes les chances de mon côté pour effacer le fait qu’à 36 ans, je suis plus du tout dans les critères de recherche des mecs et que j’aurais statistiquement bien moins de matches.
J’ai mis une légende un peu ironique, histoire de troller et de filtrer, ou je dis entre autres que j’aime « les plaisirs compliqués de la vie ». Oui je suis fascinée par la platitude des bio Tinder qui disent « j’aime les plaisirs simples », car en vrai, qui n’aime pas le plaisir, hormis les Témoins de Jéhovah ?
Alors j’ai swipé dans tous les sens, et j’ai fait défiler une quantité dingue de profils. Oui, je l’avoue, j’ai poncé Tinder car je n’avais rien de mieux à faire. J’ai vu beaucoup de cinglés, j’ai matché au physique, ou à l’intellect, parfois les deux.
N’y allant pour rien de concret, ne cherchant ni le grand amour, ni un superbe amant, j’ai pris ça à la rigolade. Comme si Tinder était un ersatz de bar avec plein de mecs en chien, un bar qui accueillerait une clientèle venue de tous les horizons. Un gigantesque bar à chopes en somme. J’y ai multiplié les eye-contacts, fait deux-trois blagues à de nombreux inconnus et eu plein de conversations qui se sont arrêtées après un simple « bonjour ». J’ai eu pas mal de conversations intellos avec des mecs qui se sentaient aussi perdus que moi sur le machin. J’ai esquivé systématiquement ceux qui disaient directement « je ne suis pas très branché discussions par message, on va boire un verre ? ». Déjà parce que moi, j’adore l’épistolaire, les longs messages où l’on parle de ses états d’âmes en faisant des blagues, ensuite parce que soyons sérieux, si je buvais un verre avec chaque mec avec lequel j’ai un début d’interaction dans un bar, je finirai ivre morte à 21h30.
Certains originaux ont bien essayé de me demander « et c’est quoi les plaisirs compliqués que tu aimes ? », mais comme je répondais « la thérapie », ils n’avaient pas le cœur assez accroché pour mon humour.
J’ai en vrai beaucoup rigolé toute seule derrière mon smartphone, parce j’ai un principe, c’est de toujours rire à mes propres blagues. Sinon, qui rira ?
Dans cette multitude de visages qui ont fini par tous se ressembler, un soir au nom de l’humour et de l’aventure, je suis allée boire un verre. Un prof, un ingénieur reconverti. De gauche. J’ai pris ça comme un signe de l’Aléatoire que j’étais définitivement guérie des ingénieurs de droite.
On a papoté, il était sympathique, ouvert à la dicussion et buvait ses bières à vitesse normale. C’était déjà un progrès. Vers 23h30, une de mes copines à qui j’avais écrit « Je vais boire un verre avec un Random Tinder, si je donne pas de nouvelles à minuit, appelle la police. », est venue aux nouvelles pour me demander si tout allait bien.
« Oh, ne t’inquiète pas, il est parfaitement inoffensif ».
Avec l’Inoffensif, on a parlé randonnées à pied et à vélo, histoire de bien perpétuer le cliché des profs. Il m’a dit « parle-moi de féminisme, je suis juste là pour écouter », signe qu’il avait bien potassé le sujet, et on s’est mis d’accord sur l’état de délabrement de la gauche française avec un air triste. On a prolongé et bu d’autres bières. On a échangé nos numéros, et il a voulu qu’on se revoie. C’est ainsi, qu’il a débarqué chez moi un dimanche soir, fatigué d’un week-end de cuite et avec « mal à l’oreille droite », et on s’est endormis comme un petit couple installé vers 23h.
Au milieu de la nuit, alors que je n’arrive absolument pas à dormir avec ce mec qui prend trop de place dans mon 160, il me gratte le dos. Tiens, l’Inoffensif passe à l’offensive ?
« Marion ?
- Hmm, oui ?
- Je suis désolé, je vais rentrer, j’ai une otite. Il faut que je me mette des gouttes ».
Des gouttes. J’ai trouvé ça à la fois très étrange et très pratique, j’allais pouvoir dormir en diagonale avec le chat. Alors j’ai fait comme n’importe quelle petite daronne ferait : je lui ai fait un bisou sur le front, je lui ai passé une petite plaquette de doliprane pour qu’il puisse faire sans encombres les 200 mètres qui séparent nos deux appartements, et je me suis recouchée.
Je n’ai pas pris de nouvelles de son otite par la suite, et si j’ai continué de trainer sur Tinder pour papoter, j’ai pas refait de dates. J’attendrai la réouverture, la front row et les joies de l’Aléatoire.
Alors, faut-il poncer Tinder en période de vaches maigres ? Oui, faites comme vous voulez, mais prenez-le à l’humour, et surtout n’oubliez pas de bien remplir votre pharmacie.