Hors-série : Tiphaine et les 4 Arthur, épisode 2
L’autre jour en teuf, un ami de la fête qui me suit ici m’a dit “non mais tu romances tes histoires hein ? Le mec qui donne son pull à un gars en after, ça n’existe pas ! ”. Et pourtant si ! C’est drôle car je romance pour que ce soit plus clair, pour que le récit soit facile à lire, intelligible et que ça se tienne, car dans la vie tout n’est pas forcément comme ça. Par contre, les trucs improbables, je les garde, ce sont des bons objets narratifs. J’en parlais aussi avec mon Pierre-Loulou préféré, mais dans l’histoire de Tiphaine, beaucoup de choses sont vraiment arrivées, à des personnes différentes, j’ai juste repris des morceaux de leurs histoires et de nos conversations pour m’inspirer et tirer autre chose. Alors, merci à tous ceux et surtout celles-là pour l’inspiration et pour m’avoir raconté vos vies.
« Qu’est-ce que tu veux Tiphaine ? T’es toujours aussi dingue ma pauvre ! ».
Mince. Ce n’était pas le bon !
Cet Arthur-là, c’était le meilleur ami de Martin, l’ex de Tiphaine. Enfin, son ex, peut-on qualifier d’ex une relation bancale où elle a passé une année à lui courir après, ne sachant jamais vraiment s’ils étaient en couple ou une bête histoire de cul ?
Tiphaine fait partie des abandonnés. Ceux qui ont une plaie béante dans le cœur depuis toujours. Un truc dans l’enfance il paraît, impossible à retracer. Une blessure sournoise, pénible, toujours sur la brèche. Une sorte de réflexe animal qui leur fait toujours penser qu’ils sont seuls dans la multitude. Quand elle veut organiser son anniversaire, Tiphaine se demande si les gens vont venir. Quand on ne répond pas à un de ses messages, elle a le cœur qui se serre. Quand un plan s’annule à la dernière minute, elle s’allonge sur son lit et regarde le plafond. C’est impossible à rationaliser, elle ne peut pas se dire que l’autre n’a plus de batterie, qu’il est en réunion, qu’il a eu une urgence qui n’a rien à voir avec elle. Non, la fautive c’est elle, l’abandonnée, celle qu’on laisse tout le temps sur le côté du chemin et qui se retrouve toujours seule.
Le truc stupide chez les abandonnés, c’est qu’ils vont toujours chercher ceux qui les abandonnent, ceux qui vont se tirer, ceux qui vont dire oui, puis non, et puis non et non. Comme s’ils voulaient rester dans ce cercle infernal de tristesse et de solitude. Comme si finalement, à cette boule d’anxiété qui apparait chaque fois qu’on les laisse, ils y étaient accros : ils y retournaient toujours, pour prendre une nouvelle dose, encore et encore. C’est con, quand même.
Tiphaine, quand elle a rencontré Martin, elle y est allée la fleur au fusil. Elle a foncé. Elle l’a trouvé beau, intelligent, sexy. Ils se sont rencontrés via des copains, à un anniversaire. Ils se sont embrassés dans la cuisine. Il avait fait le premier pas. Il est venu la draguer alors qu’elle cherchait des glaçons. Il avait le charme du taiseux, un peu ténébreux, un peu sombre, le genre à faire craquer ces filles qui ont la mauvaise idée de se dire qu’il y a un truc sous cette carapace.
Évidemment, Tiphaine faisait partie de ces filles-là. Quand ils se sont embrassés, ça lui a fait comme une petite décharge dans le corps. Elle le trouvait tellement beau.
Ils sont rentrés ensemble, chez lui. Au matin, il a pris son numéro et dit « j’t’appelle ». Quatre jours plus tard, il lui a envoyé un message pour lui demander si elle voulait passer ce soir. Tiphaine est passée. Le lendemain, elle lui a envoyé un message pour lui dire que c’était cool. Il a répondu « yes ! ». Point d’exclamation.
Ah ! Lui aussi il a aimé. Voilà ce que Tiphaine a pensé. Elle n’avait pas vu les signaux, les drapeaux rouges qui s’agitaient au-dessus de cette histoire. Elle avait juste des étoiles plein les yeux.
Alors, elle a bien voulu passer un autre soir, et puis un autre, et encore un autre. Grand luxe, au bout de 3 mois, elle a osé proposer un resto. Il a accepté. Ils avaient papoté toute la soirée en buvant du vin. Tiphaine avait trouvé ça magique. Le sexe était toujours très cool, ils trainaient toujours un peu au lit le matin en faisant des câlins, et ils avaient plein de trucs à se raconter.
Il avait aussi fini par lui dire de le rejoindre dans un bar la semaine suivante, il y était avec Arthur, son meilleur pote. Ils avaient bien sympathisé.
Ça y est, c’était le début d’une relation !
Pendant 6 mois, ils sont allés au restaurant de temps en temps, ils se voyaient deux ou trois fois par semaine, grand max. Ils s’envoyaient des messages juste pour organiser leurs entrevues, et il lui offrait de la lingerie, ça le faisait kiffer. Il l’emmenait même à des soirées où il y avait ses copains. Le sexe était encore meilleur, et Tiphaine commençait à être sacrément accrochée.
Un jour, Tiphaine a fini par lui demander :
« - On est quoi au juste ?
- Comment ça ?
- Bah, toi et moi, on est en couple exclusif, ou juste un plan cul ?
- Pourquoi tu veux mettre une étiquette. C’est cool comme ça non ? »
La boule au ventre des abandonnés a commencé à faire des siennes et à s’agiter. Alors Tiphaine n’a rien dit, de toute façon, elle ne savait même pas quoi répondre. Elle a juste respiré un grand coup : « Oui c’est cool ! ». Elle n’a plus abordé le sujet, et a décidé de se contenter de ce qu’il lui donnait.
Quelques semaines plus tard, elle était de sortie avec ses copines, Martin lui avait proposé dans l’après-midi de le rejoindre sur une péniche, il y avait une bonne soirée, d’autres copains à lui, ça pouvait être cool. Vers 23h elle lui écrit « vous y êtes quand ? ». Pas de réponse. Une heure plus tard, elle essaie de l’appeler. Pas de réponse. Quand finalement la terrasse où elles étaient a fermé, il lui a écrit pour qu’elle le rejoigne.
Elles ont sauté dans un Uber, ont passé les vigiles et payé l’entrée. Une fois sur place, Martin était introuvable. Elle n’était pourtant pas si grande cette péniche.
Tiphaine était fébrile, elle regardait partout pour voir si elle le voyait. Incapable de profiter de la musique. Incapable de profiter de ses copines. Incapable de regarder le moindre autre garçon. Ce moment où le cœur se serre, et le cerveau n’arrive pas à penser à autre chose. La boule au ventre palpitait, évidement.
Elle a fini par dégainer son téléphone pour lui envoyer un message :
« Martin tu fous quoi, putain ? On y est et jte vois pas.
- Bah t’es où ?
- Comme tu m’as dit sur la péniche.
- Ah mais on est partis nous, on est allés sur celle d’à côté finalement.
- Tu te fous de ma gueule ? »
Martin n’a pas répondu.
« Martin, t’es vraiment qu’un gros connard.
- Non mais pourquoi tu m’insultes là ? C’est quoi ton délire ? ».
Ça a été sa première crise de colère. Ça a ouvert les vannes. Après cela, quand Martin ne répondait pas aux messages, arrivait en retard, ou la plantait, elle passait directement aux insultes. Puis elle s’excusait, et il acceptait de la revoir quelques jours plus tard. C’était devenu une sorte de ménage à trois, une petite danse qu’ils exécutaient tous ensemble. Martin était distant, la boule au ventre faisait des siennes, Tiphaine piquait une crise de rage, et Martin était toujours plus distant.
Elle commençait à se dire qu’elle voulait avoir une vraie discussion avec lui, savoir où ils en étaient, s’il fallait arrêter ou se définir enfin comme un couple. Cela faisait un an que ce manège durait. La boule au ventre faisait désormais partie de sa vie, comme une douleur chronique qu’on se traine, ou bien comme des acouphènes : on a fini par oublier comment c’était la vie « avant ». C’est marrant ça, tout le monde trouvait que Tiphaine était une fille drôle, pleine d’idées, avec l’envie de faire mille choses, et pourtant avec Martin, elle n’avait plus l’impression que d’être cette petite chose pénible qui attend derrière le téléphone et qui était en colère tout le temps.
Ils avaient rendez-vous dans le café en bas de chez elle. Cela faisait deux semaines que Martin faisait le mort, et il avait finalement répondu. Elle l’attendait. Une heure plus tard, toujours pas de Martin en vue. Elle a bien essayé de l’appeler, mais il ne répondait pas, le téléphone était coupé, alors elle a envoyé un message à Arthur :
« Sais-tu où est Martin ?
- Bah dans l’avion
- Quoi dans l’avion ???!!
- Bah tu es pas au courant ? il a trouvé un boulot en Asie.
- PARDON ? »
La boule dans le ventre venait de changer de forme : elle s’était transformée en crise de fureur, Arthur a pris pour tous ces mois à attendre Martin, tous ces mois où jamais elle n’a réussi à partir, où jamais elle n’a osé lui demander ce qu’il voulait vraiment. Ces mois avaient réussi à enterrer son estime d’elle-même. Elle a envoyé à Arthur une litanie d’insultes.
« Ah ouais… mais je ne suis pas ton mec moi, tu ne m’insultes pas, pauvre meuf, t’es complètement folle ! ».
Oui, elle était folle, mais surtout de rage. C’est ce qu’on dit aux femmes blessées, on les traite d’hystériques, de dérangées, de dingues bonnes à enfermer et qui devraient calmer leurs nerfs. Tiphaine a passé les trois jours suivant dans son lit à pleurer.
De Martin, elle n’a plus jamais eu de nouvelles.