J’ai quitté Petit Ex sur un banc, dans un square du 11è. La veille c’était son anniversaire, et on avait fini la soirée à se pourrir car je perdais totalement patience après ces deux années où il avait fait du mot « amour » un mot tabou alors que c’est la plus belle chose au monde. Cet interdit nous empêchait tout projet long terme et tout lâcher-prise.
Alors je lui ai dit, que j’en avais marre, que je me détachais doucement, et c’est comme ça que ça s’est terminé. Enfin, pour moi. Lui, il m’a dit qu’il avait besoin de processer, et de s’interroger sur les toutes raisons de son incapacité à parler d’amour avec moi.
Deux semaines plus tard, il était toujours en train de processer. Moi je faisais la fête, comme d’habitude. Alors je suis allée chez lui, récupérer le sac de bordel que j’avais laissé, et lui ramener les chaussettes que je lui avais volées, puis trouées. Il m’attendait, assis sur son fauteuil, froid, avec une attitude professorale : « D’après toi, pourquoi ça n’a pas marché entre nous ? ».
Je me suis assise sur ce canapé où j’avais passé deux mois de confinement à télétravailler : « vas-y, je t’écoute. »
C’était mon intransigeance, ma façon de m’énerver quand il me disait certains trucs qui ne me plaisaient pas. Il me trouvait rigide, colérique, dure à gérer et avait peur de mes réactions. Il m’a cité ma façon de me mettre en colère quand il me parlait de mes lentilles de contact ou de mes fringues, ma longue colère sourde qui a duré des semaines pendant mon deuil, le fait que je ne voulais plus être pote avec son BFF depuis qu’il avait été odieux avec moi, etc.
« Mais en fait, dès le départ je ne te plaisais pas assez, vu que tu as toujours cherché à m’optimiser. J’étais donc pas assez bien ?
- C’est ça. »
J’ai commencé à avoir très froid, alors j’ai voulu plus de détails, des exemples très précis de ce qui le bloquait dans ma personne, et j’ai fini par rentrer chez moi, pour me rouler sous ma couette et monter le chauffage.
J’ai mal dormi, c’était mon tour de processer. Le lendemain, j’ai fait ce que je fais toujours : je lui ai écrit un long, un très long mail, qui reprenait point par point tous les moments où je mettais en colère, en tentant de lui expliquer pourquoi, lui expliquer ce qui me blessait dans ce qu’il me disait, dans cette façon pénible qu’il avait d’essayer de contrôler certains pans de ma personne.
Il a répondu quelques heures plus tard « Qu’est-ce que tu écris bien ! Je le relis à tête reposée et je te réponds ». Deux semaines plus tard, il me répondait qu’il avait bien lu tous mes points, mais que ce n’était pas une négociation et que j’avais raison, il fallait qu’on se sépare.
Une façon polie de me dire qu’il n’en avait rien à foutre de mes émotions. Et donc là, comme une nunuche, vous savez ce que j’ai fait ?
J’ai écrit un nouveau texte !
Dans lequel je comprenais qu’il soit perdu, c’était dommage c’est tout, on avait un très chouette truc qui se trouve pas à tous les coins de bars. Mais on avait suffisamment discuté de ses doutes, de ses angoisses et de leur origin story pour que je ne sois pas vraiment en mesure de le comprendre. Et puis je lui demandais, dans le fond, pourquoi lui n’arrivait pas à se mettre à ma place, à comprendre que certaines choses puissent me heurter violemment. Je lui avais lu, les larmes aux yeux, autour d’une bière.
Et vous savez ce qu’il a répondu à ma question ?
Rien.
Puis je suis rentrée chez moi, encore, j’ai ruminé dix jours avec l’idée d’encore une fois lui expliquer qu’il exagérait à ne jamais tenir compte de mes émotions, que c’était la moindre des choses dans une séparation. Puis une amie m’a dit « mais tu ne vas pas encore gâcher de l’énergie à lui expliquer des choses qu’il refuse de comprendre ! ». Et j’ai eu le déclic, c’était bel et bien terminé, et j’avais désormais un truc merveilleux devant moi : la possibilité de consacrer mon énergie à autre chose que d’essayer de régler ses problèmes.
Dans le Cœur sur la Table, j’ai appris que les femmes étaient les plus grandes lectrices de livres de développement personnel. Je suis en plein dans la cible, j’ai lu un nombre incalculable de livres de psychologie : sur le deuil, sur la théorie de l’attachement, sur le syndrome d’abandon, sur le lâcher-prise, sur la programmation neuro-linguistique et la communication non violente ! Ce qui fait que, ouais, certes je suis gentiment obsessionnelle, mais j’ai aussi un début de petit bagage théorique sur le sujet. Lui, il appelait ça d’un ton méprisant « tes petits bouquins de psycho ».
Tout comme je sais depuis longtemps qu’on est en majorité dans les métiers du « care », ceux où il faut prendre soin des autres. Moi, j’avais perdu un temps considérable à prendre soin de ses émotions à lui, alors qu’il venait de me prouver par deux fois que les miennes ne l’intéressaient pas.
Pareil, moi c’est Judith Duportail qui me l’a appris lors d’un brunch, est-ce que vous saviez 75% des divorces sont à l’initiative des femmes ? Moi, quand ça ne va pas, j’ai mon petit process : je rumine quelques temps, j’essaie de voir si c’est sauvable, puis je me décide et je ne reviens jamais en arrière. Je prends ma bite, mon couteau, une boite de capotes (XL, pour l’optimisme), et je me casse.
Je ne laisse pas mon anxiété m’engluer ad vitam dans une situation insoluble qui ne me convient pas. Avec Petit Ex, si je n’avais initié la séparation, on y serait encore !
Cet été j’avais été fascinée et soufflée par la puissance de la grève de d’Olympe de G, celle où elle fait grève de l’hétéro-normativité et se lance dans une grande période de réflexion sur ses amours et ses emmerdes, parce qu’elle en a marre de subir des injonctions patriarcales dans son intimité. Pour la blague, avec Petit Ex, on avait passé quelques heures à s’engueuler dessus, comme quoi...
Je crois que moi, sans le vouloir, je suis entrée dans une grève du travail émotionnel. C’était pas vraiment conscient, c’est juste que j’ai tout bonnement lâché l’affaire avant même que les emmerdes commencent. Vous n’imaginez pas à quel point c’est reposant.
En décembre, le chaton perdu de l’After m’avait piqué une crise car il me disait que j’étais indépendante, que j’avais confiance en moi et que donc j’avais pas besoin de lui. On était au beau milieu de la nuit, alors après une heure à essayer de le faire parler en vain de ce qui allait pas, j’ai abandonné et je suis partie dormir, car le lendemain je me levais. Le matin, je l’avais retrouvé, prostré dans un coin du lit, en n’ayant pas fermé l’œil, à marmonner que je lui plaisais trop. Vous allez me dire qu’il était complètement zinzin. Certes, ça m’apprendra à choper vers 9 heures du matin dans des lieux obscurs, mais c’était surtout un garçon très sensible, en proie à un sentiment d’abandon colossal qu’il était incapable de gérer. Et ce n’était pas à moi de lui apprendre : je suis partie une semaine plus tard.
Un autre soir, c’est le Garçon avec le sourire à mourir, toujours aussi peu disponible, qui plutôt ivre, m’a appelé en pleine nuit car il pensait à moi et avait décidé qu’il avait envie de me voir le lendemain. Le lendemain, évidemment, il s’est défilé pour ses histoires de non-disponibilité. Bien sûr il s’est excusé, me décrivant les symptômes d’une crise d’angoisse au réveil. Il me fait toujours taper le cœur un peu plus fort, mais ce n’est pas ma guerre. Je lui ai juste dit de me rappeler quand il sera sûr et sobre.
C’est bon, j’ai donné. Demmerdez vous maintenant. Toute ma vie non seulement j’ai réfléchi sur moi pour avancer sur mes peurs et mon anxiété, mais en parallèle j’ai aussi fait en sorte de réfléchir à mes partenaires, pour qu’ils aillent mieux, qu’ils avancent. Je me suis documentée, j’ai effectué des recherches pour eux, j’ai lu pour eux ! Parce que mine de rien, leurs problèmes je les subissais de plein fouet.
Je n’ose même pas quantifier le temps passé. Ramené à un salaire journalier, si j’avais utilisé ce temps à faire des missions en freelance, j’aurais sans doute un apport pour m’acheter un appartement à l’heure qu’il est.
Ça suffit le travail gratuit. Ça suffit le care, maintenant c’est à votre tour. Si on veut construire des relations hétérosexuelles égalitaires et aimantes basées sur la complicité et le partenariat, il va falloir admettre qu’on forme une équipe. Et, dans une équipe s’il y a qu’une personne qui se tape tout, on fait du travail de sagouin. J’ai fait plus que ma part, maintenant je peux juste vous prêter ma bibliothèque.
Alors au boulot maintenant !