Pour sortir de mon obsession, j’ai donc évité les attaques kamikazes et autres délires sur le Crush à Moustache. Je n’y ai pas pensé toute la semaine pour m’endormir. Je n’ai pas eu de conversation imaginaire avec lui. Je n’ai pas regardé quand il était connecté sur WhatsApp, pas plus que je n’ai tenté un booty call en rentrant de soirée. Même si j’y ai pensé extrêmement fort, un « tu dors ? » de deux heures du matin peut vite m’échapper. Après tout, ce garçon est délicieux.
Puis, un matin, j’ai reçu un message de lui, très mignon et très poli, qui me proposait un verre un soir. On a trouvé une date, je lui ai souhaité une bonne journée et il m’a remerciée.
Vraiment très poli.
C’est ainsi que je l’ai rejoint, il m’a fait la bise. De dépit, j’ai commandé deux bières. Une pour lui, une pour moi.
Il m’avait donné rendez-vous dans le bar le plus misandre de Paris, qui est pile-poil à mi chemin de nos deux appartements. En tant que mec-cis, il aurait dû être agacé ou terrifié, et il m’a expliqué « Bah c’est pas contre moi en particulier, c’est contre les hommes en général non ? »
J’ai passé un confinement entier avec deux hétéros-cis-blancs pour qui écrire un livre dont le titre était « moi les hommes je les déteste »* était une atteinte à leur intégrité personnelle, un crime de lèse-eux, et chaque jour ou presque ça chouinait que « ouin ouin les féministes elles sont agressives et pas gentilles avec nous ». Alors ce garçon moustachu, avec ses cheveux en bordel et ses yeux qui plissent quand il sourit, je l’ai regardé comme si c’était Noël et mon anniversaire en même temps.
Délicieux ce garçon, vraiment.
On a papoté pendant quatre heures en se faisant des sourires. Après la première pinte, il m’a pris la main. Je lui ai caressé les avant-bras, et j’avais presque oublié à quel point il avait la peau douce. A la deuxième, il m’a embrassée sur la joue, puis sur les lèvres, et on a passé le reste du temps à se rouler des pelles. Je me suis dit que ce n’était pas très bien de rouler autant de pelles à un hétéro-cis dans un bar misandre.
On s’est raconté nos situations du moment. Il m’a raconté son boulot dans l’informatique et sa formation de marin, qui allait le faire partir tout l’été. Vaguement improbable, mais terriblement cool. Je lui ai parlé de mon chat désagréable et anti-hommes puis des techniques pour l’amadouer : il a trouvé ça légèrement complexe.
La saute-au-paf pleine de finesse que je suis a commencé à lui faire des petites allusions sur sa rencontre avec le chat. Il m’a vue venir avec mes gros sabots et m’a juste dit qu’il préférait prendre son temps et qu’il allait rentrer chez lui ce soir.
Oh !
J’étais plus vraiment habituée. Enfin l’ai-je jamais été ? Un garçon qui ne couche ni le premier, ni le deuxième soir, c’est assez inédit comme configuration en ces temps troublés.
On a papoté de ça. Il voulait me revoir dans un cadre plus normal qu’une soirée. On avait décidé d’être honnêtes et sincères, donc il m’a expliqué qu’il a besoin d’un peu de temps avant de rentrer dans une véritable intimité. Je me suis dit qu’on était en train de slow-dater, un truc doux où on peut juste se rouler des pelles pendant des heures et se dire plein de trucs jolis. Prendre le temps, et puis, là encore, on verra bien. Juste pour la prochaine fois, je lui ai fait promettre qu’on ne se fera pas la bise pour se dire bonjour.
Alors je l’ai raccompagné à son vélo. On allait dans deux directions opposées. Je suis partie en sautillant un peu, mais je me suis quand même retournée au bout de quelques mètres. Il me regardait marcher, je lui ai fait un petit signe de main et je l’ai vu sourire dans la pénombre.
Délicieux, je vous dis.
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* Moi les hommes je les déteste, livre de Pauline Harmange qu’on ne présente plus.