Quand notre intuition est notre meilleure amie
C’était la réouverture. Après de longues semaines sans clubs, sans danser, sans même être debout dans un bar, on fêtait l’anniversaire de Pierre l’Affreux. Lui, c’est un pote. On fait beaucoup de fêtes ensemble, je l’ai connu par une amie qui elle-même l’avait chopé au Cabaret Sauvage il y a deux ans. Moi, ce soir-là, j’avais chopé le Covid et c’était moins marrant. (Vous suivez ?)
Au tout début qu’on se connaissait, j’ai dormi chez lui après une teuf mais on a préféré se raconter nos déboires amoureux plutôt que de coucher ensemble. On est devenus potes comme ça. Je lui ai dit quelques mois plus tard : « Je préfèrerai toujours gagner une jolie amitié qu’une énième vieille chope ».
Pour son anniversaire et la réouverture, on a décidé de faire un marathon de fêtes avec une tournée des hauts lieux du crime parisien. Lors de notre énième étape, à l’arrivée en after, il y avait une file d’attente impressionnante de gens qui ne voulaient pas rentrer dormir. En bonnes personnes organisée que nous sommes, on avait des préventes pour entrer directement. Dans cette file, j’ai tout de même eu le temps de voir un grand et beau mec, un profil incroyable, des cheveux qui grisonnent, et des yeux noisettes extrêmement clairs. Je me suis dit : « j’espère qu’il va réussir à rentrer ! ».
Il y avait du monde dans cet after, c’était plein. Tout le monde s’était donné rendez-vous au même endroit. On avançait à peine. On a réussi à se coller vers la front row pour danser pendant un temps indéfini. Sur la piste, le garçon de l’entrée vient engager la conversation, il me dit qu’il a un crush sur moi. Je n’en crois pas mes yeux, encore un coup de l’esprit de l’After, qui met toujours le plus beau garçon de la soirée sur mon chemin.
Je vais voir Pierre l’Affreux :
« Dis-moi, je suis en train d’halluciner ou ce garçon beau comme un dieu me drague ?»
A priori non, c’était pas une hallucination.
On danse, on rigole. C’est le genre de spécimen qui n’est pas capable de garder son tee-shirt en soirée. Il se fait engueuler par le videur, qui lui dit de se rhabiller. J’ai bien envie d’engueuler le videur, mais il n’a pas l’air commode. On se roule des pelles. J’étais heureuse de mon trophée. Il y a quand même un truc chez lui qui me freine, j’arrive pas à savoir quoi. Il est beau, il m’attire, mais un truc me chagrine. Peut-être suis-je fatiguée ? Ou juste parce qu’il est tout droit sorti d’un film genre trop beau pour être vrai ?
On s’écrit par la suite, sans jamais réussir à se voir. Je pars au Mexique, je lui dis. Il me propose un verre à son retour. Un jour que j’étais en train d’explorer une cenote près de Bacalar, j’ai un message de lui qui me demande quand je rentre.
Alors, pour fêter mon retour dans des terres parisiennes, lors d’un week-end monstrueusement froid et gris, je suis allée déjeuner le samedi midi avec lui. Il est grand, j’avais sorti mes talons. J’étais bronzée, pimpante, j’étais contente.
Il a toujours ces yeux incroyables, et des putains de pommettes qui accrochent la lumière. J’avais pas remarqué jusque là, mais il a un air très doux quand il parle. Il me touche les cheveux, il me fait des sourires. Je sens toujours un petit décalage, j’ai toujours ce frein non identifié. Il finit par me dire qu’il n’a pas dormi et qu’il vient directement depuis l’after. Incroyable comme il a bonne mine pourtant ! Qu’on me donne le nom de sa crème de jour !
Après le déjeuner, il me propose de l’accompagner dans son retour d’after, chez lui, sous une couette. J’ai décliné poliment, on n’était pas vraiment en phase en terme de cycles de sommeil, et puis je trouvais ça étrange, il y avait un truc qui sonnait pas bien dans cette proposition. C’est bizarre, j’ai l’impression qu’il le prend mal. Il me dit plusieurs fois « je suis pas un forceur tu sais », ce qui me fait dire au contraire qu’il doit sans doute en être un.
En partant il me dit « je sais plus si je dois t’embrasser ou non ». Je l’embrasse de mon propre chef, c’est doux. Il sent curieusement bon pour quelqu’un qui rentre de soirée.
Le soir, gentiment perturbée, je lui envoie un message, pour lui demander comment il va, s’il a dormi, etc. Au fil de la conversation il me dit que tout va bien, il avait trouvé quelqu’un pour occuper son lit.
Ah.
Je venais de comprendre ce qui me freinait chez lui : mon intuition me criait juste qu’il avait un ego gros comme le Brésil, et qu’il fallait le fuir comme la peste. C’est pour ça que j’avais ce frein, ce léger malaise. Je n’arrivais pas à m’ouvrir avec lui, je maintenais la conversation dans du casual et du small talk pour pas trop qu’il ait de prise sur moi, alors que je suis plutôt du genre à parler de ma psy au 1er rencard. J’agissais comme si lui dire des choses trop personnelles c’était me mettre en danger.
C’est marrant, mes copines me disent toujours que j’arrive toujours à dégotter les gentils, les doux, ceux qui portent un regard candide sur le monde et qui font attention aux autres. J’ai une sorte de radar fabuleux pour arrêter les frais très vite avec les tocards. Il me plaisait ce type, on avait plein de trucs et de gens en commun, je me disais « ah tiens pourquoi ne pas creuser un peu ? ». Et en fait non, j’avais détecté les signaux faibles sans même m’en rendre compte, cette vibe du coureur de jupons qui ne supporte pas qu’on lui dise non, cet ego tellement énorme que le type essaie de te rabaisser pour se sentir mieux, en te disant que tu es interchangeable. Je l’avais reniflé.
Je n’ai pas donné suite, bien évidement.