L’amour est un concept trop précieux pour le limiter au couple
Dans l’épisode 2 du Cœur sur la Table, Victoire Tuaillon note que l’amour romantique prend tellement de place, que c’est tellement le seul amour dont la société nous dit qu’il vaut le coup, qu’on a tendance à insidieusement délaisser nos amitiés une fois qu’il pointe le bout de son nez. On consacre tout son temps libre à l’être aimé, c’est à lui qu’on confie désormais ses joies et ses peines. A ses amis, on a bien moins de choses à dire et de moins en moins de temps à leur consacrer. On les met de côté comme si l’amitié était “une salle d’attente” de l’amour romantique.
L’an dernier, quand j’ai écouté cet épisode, ça m’a fait un électro-choc : combien de fois je l’avais vécu ? Combien de potes, d’amis, de gens avec qui j’adorais partager des confidences, des moments et des rires j’avais perdu aussitôt qu’ils s’étaient trouvé un partenaire de vie ? Disparus. Qu’est-ce que j’ai pu en souffrir ! Qu’est-ce que ça a pu me faire pleurer ! Il y a des années, j’ai vécu une amitié tellement forte et tellement belle. On riait tout le temps. Elle a explosé en vol pour exactement ce genre de raisons : l’arrivée d’un mec, l’éloignement, les priorités qui ne sont plus les mêmes. La jeunesse et le manque de maturité ont fait qu’on a été incapable de communiquer pour s’en parler. Des années après, j’avais encore le cœur qui se serrait quand j’entendais en soirée notre chanson préférée. J’en suis arrivée à la conclusion que je préférais mille fois un chagrin d’amour à un chagrin d’amitié.
S’il y a bien un truc que j’ai compris pendant le deuil de mon père, c’est que notre capacité à aimer était illimitée. L’amour a des contours infinis, il suffit juste de s’y prendre de la bonne manière. Il ne faut pas limiter l’amour, il ne faut pas le restreindre ! Il accepte tout un tas de variantes qu’il faut toutes accepter avec joie et douceur. Puis surtout, il ne faut pas avoir peur de parler d’amour, pas peur de dire aux autres qu’on les aime, de leur faire des compliments et de les trouver beaux.
Depuis six mois, j’ai décidé de faire rentrer plein d’amour dans ma vie. J’ai fait attention aux amis que j’avais déjà, j’ai recontacté ceux que j’avais perdu de vue par les aléas de la vie, j’ai approfondi des relations naissantes. J’ai aussi rencontré des gens, d’une soirée à l’autre, d’une incruste à l’autre. Des gens que j’ai adoré, avec qui j’ai eu envie de faire la fête, de discuter, de rigoler et avec qui partager. Tous, j’adore prendre des nouvelles pour savoir comment ils font, suivre les aventures, les états d’âmes ou les crises de joie. J’aime me dire qu’il va y avoir des expéditions festivals avec eux, des soirées et des fêtes, des vacances complètement stupides et je ne sais combien de conversations. J’ai aussi admis qu’il y avait des niveaux de liens différents, que ce n’était pas grave de pas être invitée à chaque fois. Il y a des gens à qui on parle tout le temps, et d’autres qu’on est juste très heureux de croiser à l’apéro.
Ce que j’aime particulièrement dans ces amitiés de la trentaine bien tassée, c’est que les mots clefs ce sont « je comprends », et « je suis là si besoin », comme si on avait tous avalé des manuels pour savoir bien communiquer et qu’on essayait avec nos petits moyens d’en appliquer les principes tant bien que mal.
Après une soirée, un apéro, un diner, un déjeuner, une balade, ce qui m’envahit le lendemain ce n’est pas tellement la gueule de bois, c’est l’amour. Le sentiment d’avoir pu partager, se confier et rire beaucoup. A chaque fois, je suis envahie par un sentiment de gratitude qui me fout la sérotonine au max. Je suis amoureuse en fait, pas au sens strict et admis du terme, mais amoureuse de pleins d’amours différents. Parfois, je me dis que je suis une folle sentimentale, mais j’aime bien.
Vous vous souvenez du garçon qui exagère (ici) ? C’est amusant car après cette rencontre très douce à une heure interdite par la morale, il a trouvé le moyen de rester dans ma vie. On a gardé le lien avec un contact quasi quotidien. On s’écrit. On se raconte nos vies, on s’envoie des mèmes rigolos, on se partage nos angoisses de FOMO, nos anxiétés de pages blanches et on compare les afters parisiens au fil de l’eau. Son espèce de cynisme tendre me fait toujours éclater de rire.
J’aime bien ce garçon car on est dans une zone fluctuante entre les potes et les vieilles chopes. L’autre jour, j’étais en détresse et chamboulée par un coup de cœur dont il ne faut pas que je m’approche : c’est à lui que j’ai eu envie de narrer mes états d’âme. Je savais qu’il comprendrait, sans juger, sans contrôler et que son pragmatisme mêlé de sensibilité me ferait du bien. En même temps, il est sexy donc il me donne un peu envie d’ovuler, alors la fois où je l’ai incrusté à une soirée il se peut qu’on ait eu une mini envie de s’embrasser dans un coin de cuisine.
Ce soir-là, on s’est dit tout ça, qu’on aimait bien cette relation aux contours indéterminés. Je lui ai dit que ça fait un moment que je voulais lui écrire que j’étais contente de l’avoir dans ma vie et que je voulais qu’on trouve un moyen pour qu’il y reste. Il m’a dit qu’il voulait faire grosso-modo la même chose. C’est chouette les garçons qui savent dire ce qu’ils ressentent.
On n’a pas fixé d’étiquette, et c’est ça qui est cool dans le fond. On s’apporte de la douceur, de la compréhension et du fun. On va très certainement réussir à se trouver un créneau pour danser sur de la techno un peu sauvage pendant de (très) longues heures un de ces soirs. J’aime bien ce garçon car il a des contradictions mais il fait avec, il ne se ment pas. C’est aussi une de mes résolutions : prendre les gens pour ce qu’ils m’apportent, pour le lien avec eux, sans chercher à vouloir en faire des êtres parfaits qui répondraient à tous mes besoins.
Tout ceci fait partie de mon travail de déconstruction du patriarcat amoureux : nourrir des relations riches et très diverses en laissant leur chance à tous les liens. Je mets le maximum d’amour dans ma vie pour ne pas me dire que ma seule planche de salut affective est dans une rencontre hypothétique avec le mec qui changera ma vie. D’ailleurs, je n’en ai pas envie. Je n’ai pas envie de me retrouver à nouveau dans une histoire où on me dira « casée », « maquée », « canard ». J’ai appris à détester ces expressions qui renvoient à une soumission à l’autre, à une disparition du moi dans le couple. Je n’ai pas envie d’être tellement obnubilée par l’amour romantique que tous les autres n’existeront plus. J’ai envie que - sait-on jamais - si quelqu’un de chouette tape à ma porte, je puisse ne pas faire reposer tous mes besoins émotionnels sur lui, afin de construire un quelque chose de sain et de doux. J’ai envie de pouvoir lui trouver une jolie place au milieu du joyeux bordel de tous mes amours, sans hiérarchiser ni se perdre en route.
Car, j’en suis persuadée, et j’insiste, notre capacité à aimer est illimitée.